Interview Romain ‘Sherkhan’ Chiffre : la Jamaïque par l’objectif

La Jamaïque par l’objectif

Qui a bien pu qualifier un jour l’extrémité d’une caméra d’objectif ? S’il y’a un truc dont je suis certain, c’est que cet ‘objectif’ capte et restitue bien des choses, des images, des couleurs : mais certainement pas de l’objectivité. D’ailleurs, comment le pourrait-il ? L’objectivité, à bien y regarder, semble n’être rien d’autre qu’une abstraction, un vague concept idéaliste, une chimère jamais effleurée. Et certainement pas une propriété ou un mode de fonctionnement de l’esprit humain. Quel homme peut revendiquer le pouvoir de se départir de tout son vécu, de toute son histoire, de toutes ses blessures, au moment d’entreprendre une action – quelle qu’elle soit ? Alors, objectif, vraiment ?

Vous pardonnerez cette introduction, je me suis trompé, je voulais la publier sur tu-crois-vraiment-que-t’as-un-libre-arbitre.com, mais je me suis rendu compte que ce site n’existait pas.

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Dans l’objectif-subjectif de Romain “Sherkhan” Chiffre, on voit la Jamaïque, pays de nos amours musicaux, filmée avec précision et présentée en tranches de vie. Je vous encourage vivement à découvrir son travail, que je vais intégrer tout au long de l’article, mais que vous pouvez aussi retrouver en intégralité ici. Gloire de l’internet, magie des tuyaux, j’ai réussi à soutirer quelques mots à ce musicien/producteur/cinéaste français installé à yard depuis 2003. Prétexte, disons-le, pour attirer votre attention sur ses excellentes petites vidéos, et en coller quelques unes sur les murs de ce blog. Interview :

Interview

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Killers Without Fillers : peux-tu commencer par te présenter en quelques mots ?

Romain ‘Sherkhan’ Chiffre : “Je m’appelle Romain Chiffre plus connu sous le nom de Sherkhan (en Jamaïque en tout cas). J’ai fait des études de graphisme puis j’ai bifurqué dans la musique. D’abord avec le groupe Zebra Experience puis en solo lorsque j’ai créé le projet “Nuits Emeraude”. En 2003 je suis venu m’installer en Jamaïque. J’ai réalisé pas loin de 200 titres avec mon label Tiger records et maintenant en plus du label je réalise des films documentaires et des clips avec ma prod Raatid and Magic. “

KWF : Qu’est-ce qui t’as pris de t’installer en Jamaïque en 2003 ? Qu’est-ce qui a suscité ton intérêt pour cette ile ?

RSC : “Je suis quelqu’un de spontané. À cette époque c’était le moment de faire un mouvement radical dans ma vie ! C’est le meilleur endroit que j’ai visité lors de mes voyages, un endroit ‘libre’, musical, drôle, full of vibes.
On ne vit pas éternellement, alors il faut agir. J’ai vu trop de gens qui aimeraient faire, qui projettent, mais qui finalement ne font rien et regrettent ensuite…
 

KWF : Tu voulais percer le mystère de la musique jam en t’installant sur place ? Comprendre ce qui la rend magique ?

RSC : “Percer un mystère? oui peut-être, ce n’était pas comme ça que je le voyais mais oui il y a peut-être de ça. Ce qui la rend magique : son peuple. “

“Necessity is mother of invention”

KWF : Y’avait l’idée de se mettre “en danger” ? Tu penses que la musique produite dans les conditions jamaïcaines – qui disons ne sont pas les plus faciles – est plus sincère que celle produite – disons encore – “confortablement” ?

RSC : “Avec une prise de risque c’est toujours plus excitant, c’est un peu comme le piment qui relève un plat. Il y a surement aussi le côté cascade de mon père[Yvan Chiffre]. Il y a un dicton qui dit: Necessity is mother of invention”. À mon humble avis la grâce peut aussi bien toucher une personne de classe moyenne habitant dans le massif central qu’un ghetto youth de Kingston. Dans les arts que j’apprécie l’histoire montre que c’est souvent dans la difficulté ou la souffrance que des chefs-d’oeuvres se réalisent.”

KWF : Un truc qui m’a toujours fasciné moi, c’est la productivité de l’ile en termes de musique : j’veux dire, comment une île du tiers-monde qui fait la taille de l’ile de France a pu produire autant de bonne musique ? C’est un miracle ! On la sent encore cette énergie musicale sur l’île ? Elle est toujours aussi pregnante/puissante que dans les années 60-70’s ?

RSC : “Tout vient des Jamaïcains, ils sont très créatifs, astucieux et bien sûr poètes. Dans le patois, la métaphore, la parabole et la place de l’image ont une grande importance. La sémantique de la langue révèle le comportement de ce peuple. Le moyen artistique d’expression en Jamaïque n’est pas littéraire, ni graphique donc c’est dans la musique qu’ils s’expriment. La musique n’a cessé d’évoluer depuis les années 60-70 à maintenant, c’est une musique vivante comme une langue vivante. “

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KWF : Tu as écrit un livre Kingston Fever (Un Musicien Français Qui Vit En Jamaïque). Un mot sur la vie d’un musicien français en Jamaïque ?

RSC : “Je suis revenu en France en 2008 durant un an pour rédiger les notes que j’avais prises en Jamaïque les 4 premières années. J’ai donc fait un recueil avec toutes ces histoires qui me sautaient aux yeux ou aux oreilles et qui maintenant me semblent bien banales. Les aventures qui me sont arrivées dans mon intégration en tant que blanc Européen installé sur cette île si particulière…”

KWF : On en vient à ces vidéos. On avait d’abord remarqué la série Just Humans – A la Jamaïque, puis maintenant With us, chaque fois des clips courts, qui montrent une tranche de vie jamaïcaine. Quel est l’objet de ces vidéos ?

RSC : “Le but de la série ‘Just Humans’ est d’y découvrir que l’humain est universel, qu’on n’a pas à avoir peur de l’autre. Par exemple dans l’épisode jamaïcain des dominos et celui du backgammon en Turquie on retrouve les mêmes types de gens qui s’amusent autour d’une table, certains se taquinent d’autres observent et donnent des conseils. La culture, la langue et la couleur de peau sont quelque part les seules différences. Le but ultime de la série prendra vraiment un sens lorsqu’il y aura de nombreux autres pays au compteur. Pour l’instant c’est plus une petite série informative, amusante et dépaysante. “

KWF : Tes vidéos reflètent bien l’esprit qui transpire de la musique jamaïquaine, ce mélange de fierté, de talent brut, de débrouillardise et d’éloquence. C’est une volonté ou je fantasme ? Même les techniques semblent tendre à cet objectif : format de vidéo court, plans rapprochés, séquences rythmées… (quoique la nouvelle série With us privilégie le plan fixe…)

RSC : “Je laisse les choses se dérouler comme quand je produis une chanson, une fois les directives données je laisse le chanteur s’exprimer. Quand je filme c’est pareil, évidemment c’est subjectif mais je laisse le pays offrir à l’objectif.”

KWF : tu penses que c’est important de saisir l’esprit de la société jamaïcaine pour appréhender sa musique ?

RSC : “Tu auras un autre niveau de compréhension avec le fait de comprendre les paroles et de connaitre la culture, mais la musique est accessible par tous, il suffit d’écouter. Je ne crois pas au côté intellectuel que certains veulent bien nous faire croire (dans le jazz par exemple) pour aimer une musique. On ne comprend pas la musique on la ressent. Une chanson déclenchera des sentiments différents à chaque personne car la musique est une alchimie très complexe. Tout ce que je peux dire c’est qu’un morceau te parlera ou pas. Après le fait d’entendre un titre des dizaines de fois fait que tu l’intègres, ça fait longtemps que les maisons de disques l’on compris ! Donc pour en revenir à ta question je ne pense pas spécialement qu’on aie besoin de connaitre le peuple Jamaïcain pour aimer le reggae. “

KWF : tu fais un buzz sur internet en ce moment avec tes vidéos ! Qu’est-ce qui rendent ce pays et ses habitants si intéressants pour tant de monde ? Ça n’peut pas être que la musique…

RSC : “C’est très important de se rappeler que la musique Jamaïcaine est faite par des Jamaïcains. Ce peuple que j’ai décrit un peu plus haut. La planète entière danse sur des rythmes qui viennent de près ou de loin de la Jamaïque. C’est parce qu’ils sont qui ils sont que cette musique rayonne de cette manière. “

KWF : des projets de plus long formats sur la Jamaïque/ou la musique jamaïcaine ? D’autres contrées musicales à explorer ?

RSC : “De nombreux projets plus ou moins longs sont en cours de réalisation, des 52 mns sur des producteurs légendaires en fin de montage, et d’autres choses arrivent très bientôt. Bien sûr je compte bien recommencer à voyager et à partager. “

KWF : Tu peux nous conseiller une des tes vidéos et nous dire pourquoi celle-là ? Réfléchis bien, car je l’intègre en dessous de ta réponse.

RSC : “C’est dur comme question tous mes travaux ont une histoire et une fonction. Comme ça disons ‘Return forward’ un patchwork d’images d’ici… 

KWF : merci
RSC  merci à toi ! “

Production : Raatid and Magic Films Site officiel : Sherkan’s Lair

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